l'âme à l'amer.

say what you wanna say and let the world fall out
n'a jamais aimé sa terre natale. trop de cowboys, de fermiers et gens à haute prétention territoriale. ~ il n'a jamais connu ses parents, sa mère ayant rendu l'âme en lui donnant la vie et son père s'étant éteint peu après. c'est son grand-père qui a fait toute son éducation, que dieu ait son âme. ~ dans sa jeunesse, il a toujours été un solitaire, préférant mener un troupeau de bétails nuit et jour que d'aller jouer aux indiens avec les garçons de son âge. ~ il n'a jamais été très loin dans ses études, mais il a sauté deux classes dans sa jeunesse. il serait donc risqué de douter de ses capacités intellectuelles. en réflexion, logique et calcul mental, il les bat tous à plates coutures. les sciences lui sont toujours apparues d'une simplicité évidente, voir accablante, et ce sans diplôme en poche. un examen d'entrée pour rejoindre le clan des militaires a même démontré un QI supérieur à la moyenne. ~ un jeune de deux ans son aîné a voulu faire de lui son bouc émissaire. résultats des courses, quatre points de suture et une branlée punitive à coup de savate. ~ il a du mal à verser des larmes sentimentales, de joie ou de peine. c'est pas faute d'avoir essayé, mais il est comme coincé, bloqué. excepté depuis son retour de syrie où les larmes sont devenus de vieilles amies. ~ les vieillards de son patelin le considéraient comme le diable en personne, de par son deuxième prénom, et se signaient à chacun de ses passages. vieux fous. ~ il lui est arrivé de prendre un malin plaisir à leur faire mille farces le soir d'halloween. juste pour entretenir le mythe. ~ il n'a jamais rechigné au travail, que cela lui coûte sang et transpiration. même si la terre et les animaux ne représentaient pas ses centres d'intérêts premiers. ~ il a abandonné l'école très tôt pour se donner corps et âme dans l'armée, au grand damn de ses professeurs. un moyen comme un autre d'épuiser une énergie inépuisable et de combler ce manque abyssal. ~ très jeune il a prit goût à la chasse au gibier. ce n'est que plus tard que la chasse a l'être humain l'a condamné. ~ lors de foire des villages voisins, il a toujours été le premier au tir à l'arc et au fusil. ce qui lui a valu peu à peu le respect et la crainte du commun des mortels. ~ il ne parle que très peu, seulement lorsqu'il le juge utile et nécessaire. les longs discours l'épuisent, il préfère une phrase simple et concise. ~ il a rencontré sa future ex femme à ses vingt-trois ans. jusqu'alors, il n'en avait jamais fréquenté, ni même regardé ou envisagé. ce sont les femmes, les créatures du diable. ~ elle a été la seule à le comprendre et à respecter sa nature solitaire. pour ses beaux yeux, il a tenté de faire des efforts: dîner entre amies, parfum, coiffeur, tout autant de chose qu'il ne connaissait pas. ~ ils se sont mariés sur un élan de folie et d'amour commun. il avait vingt-six ans. ~ il est alors parti se battre en syrie, telles furent les dernières volontés de son grand-père. ~ deux ans plus tard, à son retour, sa vie n'a plus jamais été la même. les rares permissions ne lui ont pas permis de subsister dans le monde réel. ~ dès lors ses nuits sont ponctuées de cauchemars, de brides des horreurs qu'il a du affronter. en découle des crises où il devient violent, paranoïaque, possédé. ~ il a accepté un suivi psychologique à contre coeur, n'exigeant en retour que des anti-dépresseurs et autres saloperies auxquelles il est accro. ~ ça fait presque un an que le divorce est en cours d'instance. elle ne pouvait plus supporter ses folies, ne pouvait plus supporter de le voir s'auto-détruire un peu plus chaque jour. il n'a toujours pas signé les papiers. ~ il représente surtout un danger pour lui-même, bien qu'il ait eu quelques dérapages qui l'ont amené à cogner, aveuglé par les embrasements passés.

fear is the thing that hold you the most on your futur
Un tonnerre assourdissant, des lumières aveuglantes. Et les foudres de l'enfer qui n'en finissaient plus de s'abattre comme de la grêle autour de toi. Les coups pleuvaient, les corps chutaient, la nuée s'amenuisait. Il n'y avait pas de démons comparables à ceux qui vous faisaient face. Des terroristes, des possédés, des tarés. Ils se sacrifiaient pour cette cause qui leur paraissait noble, s'improvisaient bombe humaine, donnant leur vie contre des milliers des votres. Il vous fallait soutenir ces armes au poids gargantuesque, soulever nos cœurs plombés par l'horreur et une angoisse folle. Les cris fusaient, les balles criblaient, les hurlements reprenaient. Les jours étaient semblables à des semaines, le ciel avait revêtu son ensemble sombre corbeau. Tu ne goûtais à rien d'autre que la poussière, le sang, la morsure des munitions et la sensation que jamais tu n'en reviendrais. Tu ne priais pas, ne gémissais pas, ne frémissais pas. Ton apparence était de marbre alors que ton cœur, tes os et ta chair tremblaient comme les feuilles à l'approche de l'hiver. Ton âme toute entière appelait à un reversement de situation, appelait au passé, à ce que ces fous surnommaient le bon vieux temps. Tu aurais tout donné pour revoir ces champs que tu haïssais tant, pour retrouver la douceur et la chaleur de ta femme. Mais l'instant présent était sujet à la mort prochaine. Et s'il fallait mourir, autant décider du lieu, du moment, de l'assassin. C'est dans un dernier cri de rage, d'aversion et de haine meurtrière que tu te lançais dans le massacre. Pour l'honneur. Pour la patrie. Pour ta vie.

Tu le laisses te toucher, t’ausculter, manipuler les morceaux restant de ton misérable corps. Tu as hurlé, blasphémé, maudit en découvrant le vide béant à côté de ta jambe gauche. Cette jambe droite que tu avais laissé sur le champs de bataille, cette partie de ton être que l'on t'avait arraché. Et pourtant, la sensation était toujours là. Tu avais l'impression de la sentir, sans cesse, chaque jour, et à chaque instant ça te démangeait. Mais comment soulager des démangeaisons d'une jambe qui n'est plus? Alors tu avais cessé de baisser les yeux, te contentant de fixer un point devant toi, au loin, tu n'saurais même pas dire lequel. Là encore ton côté droit te faisait défaut. Ton œil droit ne servait plus à rien. Un éclat d'obus, nous avons fait tout ce que nous pouvions. L’œil est sauf, mais il ne retrouvera jamais la vue. A quoi pouvait bien servir un œil qui ne voit pas? Autant te l'enlever, là, tout de suite. Et c'est ce que tu as essayé de faire tes premiers jours d'hospitalisation. Te débarrasser de cette boule gluante,  vider ton orifice de toute impureté. On t'aurait déclaré comme fou si ta chère et tendre n'était pas intervenue. Alors on t'a tout simplement déclaré "perturbé", et "avec des séquelles". Ils savaient où ils pouvaient se le mettre, leur diagnostic. Ton iris est blanc à la place du bleu, ça te donne un côté guerrier. Tu t'en contrefous de ton aspect guerrier, tu veux juste te barrer. Quitter ces murs blancs, cette odeur de javel et ces abrutis en costume blanc. Une fois que la cicatrisation sera complète, on pourra envisager une prothèse. Traduction: tu continueras à être un légume pendant de longs mois mais après ça, peut-être, tu pourras devenir un hydribe mi-homme, mi-plastique. Le destin de rêve. Une main se pose sur ton épaule, tu en reconnais la douceur, l'électricité. Tes yeux se ferment -ton œil gauche se ferme- et tu soupires. Ca pourra pas être pire.

Et tu souffres, subis ton patriotisme, avales toutes ces horreurs en serrant les dents, les poings, ne devenant qu'une bête de nerfs en fusion. Tu cherches à tâtons ces comprimés synonymes de paix momentanée, assoiffé par l'apaisement qu'ils te procurent. Et dans ta transe tu cognes, brises, déranges cette maison que tu as mis tant de temps à construire. Tes pieds se saignent sur les morceaux de verre brisés, ton corps meurtri heurte chaque recoin, les chocs contre ta prothèse raisonne sourdement. Tu grognes, hurles, gémis, comme si le feu du diable en personne se nourrissait de tes entrailles. Ta tête n'est plus qu'un amas de douleur, tu voudrais en finir. La porte claque, cette voix féminine tu la connais, mieux que la tienne. Tu la chéris à tel point que tu t'en tords, vulgaire serpent de chair et d'os gisant sur le sol. Une main t'aide à te relever, veut t'aider, mais son contact te rappelle ceux de tes camarades mort sur le front. Leur dernière pression avant de rendre un soupir libérateur. Comme une explosion tu pousses, repousses, frappes sans en avoir conscience, casses de plus belle. Aveugle et sourd aux dégâts que tu crées autour de toi, tu t'isoles dans un coin. La tête entre les mains, comme un enfant. Tu les cherches, encore et toujours ces putains de comprimés. Ils te sont indispensables, pire encore. Sans eux tu serais déjà interné ou derrière les barreaux. Puis tu poses un doigt dessus. Une vague d'avidité te noie, t'entraîne, tu recouvres tes esprits le temps d'enfoncer ces douceurs au fond de ta gorge. Le voile sombre s'estompe peu à peu, ton âme est de retour sur la terre ferme. Transpirant, haletant, tu constates l'ampleur de ton carnage. L'ampleur de ta folie. Et c'est une nouvelle horreur qui te submerge à la vue de ta femme à l'arcade saignante. Le cœur brisé, tu te diriges vers elle, mais elle te fuit. Fuit la bête qu'elle a vu en pleine action, fuit cet être qui lui fait du mal. Tu n'es qu'une abomination, et sa place n'est plus avec toi. Ses larmes te transpercent comme mille munitions, t'achèvent un peu plus. Je ne peux plus. Je suis désolée. Je pars chez ma sœur. Impuissant, l'honneur dans la tombe, tu ne peux ajouter quoique ce soit. Tu sais qu'elle a raison. Tu sais qu'un de ces jours, tu pourrais la tuer. Alors tu la laisses réunir ses affaires, planté au milieu du salon. Tu es persuadé que c'est la dernière fois que tu la vois : livide, les joues ravagées de larmes, le visage hanté par ta violence. C'est la fin pour toi. La fin de tout.