light my fire (r)

Délaissant copies et bon nombre de tasses de thé, laissant derrière toi logement et fond de musique des années où le jazz était un son des plus doux, tu prends le chemin du centre-ville de Wetmore. Ce vendredi-là, Susie était en semaine de vacances chez sa marraine, une période qu’elle affectionnait particulièrement car ta meilleure amie avaient une tendance sans nom à toujours la gâter. La gâter était aussi dans ton attention mais pas au point d’en atteindre les limites. Ce n’était pas lui rendre service, une éducation que tu avais sans doute héritée de tes parents. Un sentiment de mélancolie se profile dans ta conscience, comme pour te rappeler cette partie de ton existence où les relations avec ton propre géniteur demeuraient encore complices et naturelles. En fin de soirée, Cora avait eu l’idée de t’envoyer un message afin de savoir si tu étais libre, ce qui était le cas puisque tu étais seul ce soir au contraire des autres jours où Susie dormait déjà à cette heure-ci. La jeune brunette était pour toi, le reflet de tes années où tu avais été toi-même un adolescent empreint de doutes et passionné par la lecture. Elle avait été accablée par la vie, des aléas, des conséquences mais dans l’éclat de ses pupilles tu pouvais encore y lire un espoir dont elle n’avait pas encore pris conscience. Tu ne la laisserais pas sombrer dans une solitude. Elle méritait bien mieux que cela. Elle avait été ton élève mais avant tout vous demeuriez de véritables amis. Un point sur lequel elle semblait pourtant prendre confiance tout en étant quelque peu dans les nuages ces derniers temps. Une fois ton véhicule garé devant le café – d’ordinaire très fréquenté en semaine – tu pousses la porte de ce dernier, un sourire amusé se dessinant au coin de tes lèvres. Un torchon posé sur son épaule, sa longue chevelure sauvage cascade le long de son dos en un mouvement naturel. Tout en invitant à t’asseoir, tu t’aventures tel un éternel habitué auprès du comptoir. « Tu as fait vite dis-moi, j’espère que tu ne manques pas trop à tes copies. ». Son rire contagieux se mêle au tien alors que tu secoues la tête à son assertion. Cette dernière était hypothétiquement risible car bien souvent lors de ta première année d’enseignement, le gout pour la correction des copies de tes étudiants avait été une grande habitude. Si grande que les corriger était pour toi un plaisir plus qu’une corvée. « Disons qu’elles sauront très bien patienter quelques heures de plus. En revanche, les machines elles ne peuvent t’attendre on dirait, hm ? ». Un timbre de voix teintée d’une moquerie galante mais bien plus placé sous le signe de ce lien amical qui vous unissez. Cora avait mis un terme à ses études de manière brutale. Tu ne la jugeais pas. Tu comprenais sa décision de tout quitter pour retrouver ce passé antérieur dans lequel se figeait une partie d’elle-même. Tu ne faisais que la soutenir tel un pilier sur lequel se reposer et compter. Seulement elle possédait un grand potentiel dans le domaine de la littérature alors tu tentais à chaque fois de dialoguer sur le sujet mais elle était tenace dans son genre. Assis sur le tabouret derrière le comptoir, tu la considères d’un clin d’œil pour la remercier du café tout en versant la dosette de sucre dans ta boisson chaude. « Et voilà pour toi, monsieur le professeur. ». Un rictus ironiquement caricatural mais qui ne fait qu’écho à ses paroles. « A t’écouter on a l’impression que j’ai pris un sacré coup de vieux. ». Tu secoues la tête d’un mouvement négatif, tout en portant le gobelet à tes lèvres pour en boire quelques gorgées. Son expression se pose sur toi, une expression lointaine où ses yeux vagabondent au même rythme que ses propres pensés. Un instant où une fraction de seconde peut se montrer beaucoup plus explicite, le silence étant le fil conducteur. Ton regard la scrute en silence également, et tu tentes comme toujours de la deviner ce qui n’était pas une tâche trop difficile. « Sinon qu’as-tu fait de ta journée à part corriger des copies ? ». Te dit-elle tout en te tournant le dos pour reprendre le nettoyage des machines siégeant derrière elle de manière qu’elle te tourne le dos désormais. « Une routine entre un parcours d’élèves euphoriques à l’idée des prochaines vacances, Susie qui se montre plutôt mécontente de son voisin de classe et Sara qui doit annoncer son statut à la famille … De la routine tu vois. ». Tu hausses les épaules d’un air satisfait avant de poser tes coudes sur le comptoir. « Dis-moi Cora, il y a quelque chose qui ne va pas ? ». Lire en elle n’était pas très difficile et c’était sans doute dû au fait que vous passiez beaucoup de temps ensemble.

« Oh oui je vois. Dis-toi que tu toi aussi tu auras mérité tes vacances, et puis en plus on ne s’ennuie jamais dans tes cours, du moins lorsque j’y étais. ». Te dit-elle toujours souriante par-dessus son épaule tout en continuant de nettoyer les machines.  Tu sens néanmoins une mélancolie ténue prendre possession de son regard, ses pensées étant sans doute dirigé vers un passé où elle demeurait plus épanouie. Cora était une excellente élève dotée d’un très grand potentiel, tu luttais toujours lors de vos conversations pour tenter de lui redonner gout à la reprise de ses études mais cela semblait vous mener nulle part à chaque fois. Et à chaque fois, elle se rebutait un peu plus en répondant par la négative mais tu ne renonçais jamais à la voir de nouveau espérer. Sa colocation avec ta plus jeune sœur était un peu plus pour elle, elle pouvait compter sur Sara et sa dynamique pour lui remonter le moral. Il était véridique également que votre lien devenait à chaque fois beaucoup plus complice. « Sans doute … Rien n’est encore de l’imparfait pour toi tu sais ? ». Lui confies-tu tout en la toisant d’une moue légèrement réprobatrice mais loin d’être très sérieuse. Tu ne voulais pas braquer Cora, mais elle savait que tu ne quittais pas ton idée aussi aisément. Quelques fois – pour ne pas dire très souvent – vous vous rendiez à la bibliothèque de la ville pour échanger plusieurs impressions sur tel ou tel ouvrage, une passion commune presque naturelle pour la littérature. Tu la considères d’un sourire amusant et calme à la fois, avant de boire à nouveau quelques gorgées de caféine. Ta dernière interrogation semble l’avoir troublée, comme si elle cherchait un temps de réflexion pour trouver les mots capables de t’éloigner d’une véritable réponse. Cette dernière ne tardant pas à venir, mais tu savais déjà les propos de cette réponse, du moins tu avais une petite idée déjà. « Non Aleph, tout vas bien je t’assure. Pourquoi, cela n’a pas l’air d’être le cas ? ». Pressant tes lèvres en une ligne fine, tu secoues la tête en passant une main dans ta tignasse brune cuivrée légèrement en bataille. Un laps de secondes suffisante pour que la demoiselle – sans doute tirée par ses pensées – use de maladresse et se brule avec l’arrivée d’air chaud de la machine. La voyant pincer les lèvres pour étouffer son cri, tu te lèves rapidement pour la rejoindre derrière le comptoir alors qu’elle passe sa main meurtrie sous le jet d’eau froide. « Quelle maladroite, j’aurais du être plus attentive ». Tu ne l’écoutes que d’une oreille car tandis qu’elle continue de le passer sous l’eau froide tu t’affaires à sortir des glaçons du bac. Les trouver avait fonctionné à l’instant car lorsque tu étais étudiant le job de serveur t’avait permis de payer ton logement en dehors de la faculté. A cette époque tu préférais de loin le calme et le bourdonnement du centre-ville plutôt que l’ambiance du campus. « Rassures-toi ce n’est qu’une petite brûlure. ». Sans grande peine, tu prends mesure de ses dires. Trop habitués à ne pas inquiétait son entourage, elle réagissait toujours comme et tu ne lui en tenais guère rigueur. Autrefois, tu étais le même. Exactement le même. Et c’était sans doute pour une des nombreuses qualités que tu appréciais chez Cora même s’il ne fallait pas trop pousser jusqu’à ce négliger de vérités parfois évidentes. Alors que tu mets plusieurs glaçons dans une poche de sac de congélations – cela faisant office d’une poche de glace de fortune – fait avec les moyens du bord, tu t’approches vers ta camarade en prenant précautionneusement sa main qu’elle avait enveloppée dans un torchon. Tu enlèves celui-ci, examinant la brulure rouge vif qui s’étend sur le dos de sa main. « Si je ne te connaissais pas aussi bien, je dirai que tu es en train de me mentir. ». Ton assertion n’a strictement rien d’accusateur et l’intonation de ta voix est douce et calme à la fois. Tu enveloppes la poche de glace dans le torchon avant de le déposer sur sa blessure. « Tiens sa sur ta main encore un peu, en attendant je vais finir. ». Lui dis-tu sérieusement tout en lui indiquant le siège où il était assis un peu plus tôt. Il y avait une possibilité pour qu’elle refuse mais ton regard était assez catégorique pour qu’elle prenne un peu soin d’elle. « Tu dis des bêtises, tu n’est pas si vieux que ça, quoique avec ta barbe, mais bon tu fais toujours aurant d’effet auprès des étudiantes, ça aide pour écouter. ». A  l’entente de sa réplique, tu mêles ton rire moqueur au sien. Il t’arrivait de laisser une barbe naissante de trois jours apparaitre mais jamais plus. Pour autant c’est vrai que l’effet de vieillesse pointait le bout de son nez. Tu ne pouvais le nier. « Venant de toi je prendrais cela pour un compliment. ». Tu prends naturellement le relais pour laver les machines à café situées derrière le comptoir, cette image te renvoyant à quelques années en arrière. « C’est une bonne tactique d’esprit que de changer de sujet, tu sais ?  Non plus sérieusement Cora, on est assez proche pour que tu me dises ce qui te tracasses non ? ». Tu t’arrêtes une seconde pour l’observer. Elle semblait mal à l’aise, retrouvant cette expression d’incertitude comme lorsque tu l’avais croisée dans le bar quelques temps auparavant. Posant le torchon sur le rebord de la machine, tu t’accoudes à nouveau sur le comptoir, vos yeux se trouvant sans le moindre problème.